À quoi servent (vraiment) les toitures végétalisées ? C’était (presque) la seule question que nous voulions poser à Philippe Peiger, paysagiste expert en Agro-écologie Urbaine depuis plus de 23 ans, président de l’association « Nature en toit », et dépositaire du concept « Bâtiment vivant ». Il nous a finalement fait découvrir sa vision d’un écosystème à l’échelle du quartier…
À quoi servent (vraiment) les toitures végétalisées ?
Il faut déjà s’entendre sur ce que l’on qualifie de « toiture végétalisée ». Si vous pensez aux systèmes industriels, généralement issus des spécialistes de l’étanchéité, et qui proposent royalement 3 cm de terre et 3 ou 4 espèces de plantes, alors la réponse est : « À rien ! », si ce n’est un peu de green washing et la conformité avec certaines réglementations. Pour obtenir un résultat tangible et durable, et pas seulement des économies d’énergie, il faut installer une véritable biodiversité. C’est le concept de bâtiment vivant.
À quoi ressemble donc votre toiture vivante idéale ?
Elle dépend à l’évidence de chaque projet : climat, altitude, espèces végétales locales, emplacement urbain (habitation, zone d’activité…), usages du bâtiment, besoins des occupants, etc. Mais il a bien sûr quelques fondamentaux, à commencer par un substrat de 8 à 10 cm d’épaisseur au minimum, et l’implantation d’au moins 50 espèces végétales. Mon travail consiste à créer un lien entre la botanique et les besoins du bâtiment, sans rester coincé dans le carcan du toit bien plat et uniforme. Nous installons par exemple des mares, des buttes, des sols différents sur un même toit (y compris des substrats issus de recyclage minéral local), ou encore des liaisons sol-toit pour autoriser l’accès de la faune.
N’est-ce pas une posture ? En quoi la biodiversité est-elle directement bénéfique au bâtiment ?
On réduit à tort la végétalisation des toits à l’isolation thermique pour le bâtiment en question. Effectivement, l’économie d’énergie (surtout en climatisation) atteint régulièrement 20 à 30% (toujours avec un substrat suffisamment épais). Cependant d’autres bénéfices sont très intéressants pour le bâtiment et ses usagers, mais aussi pour le quartier. Prenons le bruit, qui est la nuisance numéro 1 pour les Français : une toiture végétalisée supprime le bruit de l’impact de la pluie (forte pluie ou grêle) dans le bâtiment, et attenue la résonance sonore de plusieurs décibels (réflexion des bruits environnants). Et puisque l’on parle de la pluie : saviez-vous que la majorité des stations de traitement des eaux seront bientôt à saturation sur le Grand Paris ? Une toiture végétale avec 15 cm de substrat permet gérer 80 % de la pluviométrie annuelle ! Et cette eau, en s’évaporant, améliore la qualité de l’air et annule l’effet « d’îlot thermique » dans un rayon de 150 m. Songez qu’un toit en zinc peut afficher une température de surface de plus de 110°C en plein été (ndlr : 70 à 80 °C pour le goudron ou la tôle) ! La réduction de la température est également indirecte car le rayonnement du toit disparaît (ndlr : réflexion du soleil sur les autres bâtiments). Et tout ceci ne marche qu’avec un minimum de biodiversité : chaque besoin fonctionnel correspondant à une ou plusieurs plantes, qui doivent se passer le relais selon les saisons. Cela facilite de plus l’entretien.
Justement, quid de l’équation économique ? Il faut investir et entretenir…
On s’inquiète souvent du surcoût structurel pour supporter le poids de la terre. Mais c’est en réalité un faux problème, il suffit de prévoir 250 kg/m² de plus pour végétaliser la quasi-totalité des toits. L’investissement sur le gros œuvre en structure pour accepter cette charge supplémentaire est inférieur à 1 % : on ne se posera bientôt même plus la question. Quant à l’investissement lié à la végétalisation, il faut compter entre 60 et 80 €/m² : on reste donc à la marge sur le budget total d’un bâtiment. Reste l’exploitation… mais là encore, c’est un non sujet : à part la première année, qui nécessite 3 à 4 interventions, il suffit de 2-3 heures par an pour gérer 500 m², soit pas tellement plus que la visite annuelle obligatoire des toitures non végétalisées. Et n’oubliez pas qu’en face de ces dépenses viennent des gains non négligeables. D’abord l’augmentation significative de la valeur du bien immobilier, notamment via la réduction de ses coûts d’exploitation (économies d’énergie). Ensuite la possibilité d’installer des panneaux photovoltaïques dont les performances sont accrues (ndlr : plus les panneaux sont froids, plus leur rendement augmente). Et enfin, celui non estimable de pouvoir utiliser le toit comme espace de promenade, ou pourquoi pas pour une petite production agricole. Au bout du compte, les toitures végétalisées biodiverses permettent de concilier économie, écologie, et bien-être au travail. Pourquoi s’en priver ?
Philippe Peiger est l’auteur, avec Nathalie Baumann, de l’ouvrage « La végétalisation biodiverse et biosolaire des toitures – Les règles de l’art », aux éditions Eyrolles. Parution automne 2017.
Un article signé OKedito