Année après année, la maquette numérique s’impose comme un incontournable pour tout le secteur du bâtiment. Au point que la nouvelle réglementation des marchés publics permet désormais à un maître d’ouvrage d’exiger l’utilisation du BIM. Une omniprésence qui pose néanmoins la question de la propriété intellectuelle de cette maquette numérique. Éléments de réponse avec Xavier PICAN, avocat-associé chez Osborne Clarke et auteur du rapport « Droit du numérique & Bâtiment » (mars 2016).
Avec la maquette numérique, les différents acteurs craignent-il de voir une partie de leur travail captée par d’autres ?
Cette inquiétude existe. Jusqu’ici, chacun travaillait en séquences sur un projet. Il y avait beaucoup d’échanges, mais chacun préservait son travail, ses livraisons et donc par conséquence ses droits de propriété intellectuelle. C’est pour cela que je préconise aux personnes qui travaillent ensemble sur un projet de maquette numérique de contractualiser leurs contributions respectives dès le début de leur collaboration. Ainsi, après la fin des travaux, chacun pourra faire valoir ses actifs et ses droits. C’est d’ailleurs une pratique courante dans beaucoup d’autres secteurs industriels. Le bâtiment applique aujourd’hui ce que l’aviation ou l’automobile ont mis en place depuis des années.
Dès lors, comment réussir cette phase de contractualisation ?
La première étape, pour tous les acteurs, c’est de faire le bilan des actifs incorporés dans la maquette numérique. Autrement dit : il faut tout passer en revu. Quels sont les plans ? Quelles sont les données générées ? Quels logiciels ont été utilisés ? Chacun doit identifier ce qui lui appartient. Ensuite, une fois le projet lancé, chacun va donner aux autres des droits pour utiliser les actifs qui lui appartiennent dans le cadre de la contribution à la maquette numérique. Attention, donner un droit ne signifie pas que l’on perd sa propriété. C’est le point sur lequel il faut être très vigilant.
L’exercice de contractualisation demande beaucoup d’attention : on doit vérifier que tous les partenaires arrivent bien à déterminer leurs droits. Cela prend souvent malheureusement beaucoup de temps, notamment lorsque cet exercice n’a jamais été engagé. C’est tout le paradoxe de ces nouveaux outils numériques : ils font gagner du temps, mais ils nécessitent de meilleurs contrats entre partenaires pour pouvoir les utiliser. L’exercice est même encore plus complexe lors d’un projet de rénovation car il faut alors vérifier qu’on dispose des droits de tous les plans antérieurs.
Aujourd’hui, comment jaugez-vous la maturité des professionnels du bâtiment sur ces questions ?
Le secteur a encore beaucoup de progrès à faire en termes de méthodes et de compréhension de ces sujets de propriété intellectuelle. Cela dit, je constate de nets progrès depuis environ deux ans. À l’époque la propriété intellectuelle de la maquette numérique n’était qu’une source d’inquiétude, sans être quelque chose de concret. Aujourd’hui c’est une réalité pour les professionnels. La difficulté c’est que la filière immobilière reste un secteur très protéiforme. Tout le monde monte dans le train à sa vitesse. On ne peut pas demander à une petite agence d’architecture d’être aussi à jour qu’un grand constructeur international. En résumé, je dirais que les professionnels doivent encore se faire la main, mais que c’est une question de temps. Dans 10 ans, l’inquiétude autour de la propriété intellectuelle de la maquette numérique aura disparu et les bons processus contractuels auront été adoptés.
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Témoignage de Dominique Frouin, Directeur juridique GA Smart Building
Quel regard portez-vous sur le rapport « Droit du numérique & Bâtiment » ?
C’est clairement un document de référence car c’est le premier groupe de travail à avoir autant approfondi le sujet. Cela dit, il y a encore un écart entre ce travail de prospective et la réalité du terrain. Notamment sur la question des droits d’auteurs qui, en pratique, ne se traduit pas toujours par une formalisation spécifique.
Quelle est l’approche juridique retenue par GA Smart Building en matière de maquette numérique ?
Une des particularités de GA Smart Building est d’assumer les engagements relatifs à la fois à la conception et la réalisation de ses projets. L’élaboration de la maquette numérique, qui repose sur une synthèse de données techniques, est donc appréhendée comme un prolongement de ces engagements. Dans nos contrats, nous proposons à nos partenaires les conditions de réalisation de cette synthèse concernant la fourniture des données. Le BIM est désormais appliqué à l’ensemble de nos projets. Nous avons donc une pratique désormais bien éprouvée.
Est-ce que la mission du BIM manager pose également des questions juridiques spécifiques ?
Effectivement, la maquette numérique est un outil de conception et l’intervention du BIM Manager est une source de responsabilités particulières. Nous avons donc été amenés à mettre en œuvre une couverture d’assurance adaptée pour cette activité de BIM Management.
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