Les constructions durables doivent respecter la biodiversité et devenir des lieux de développement de la biodiversité, par exemple avec une architecture inspirée de la nature.
Et demain ?

Vers des bâtiments créateurs de biodiversité ?

25.10.2018

Aucune construction n’est aujourd’hui pensée sans en évaluer ses conséquences sur l’environnement. On parle ainsi de bâtiment à énergie positive, de bâtiment durable, de neutralité carbone du bâti, de matériaux de construction biosourcés ou encore de retour de la nature en ville. Mais est-il possible d’aller au-delà et d’ériger des bâtiments qui non seulement respectent la biodiversité mais en plus deviennent des lieux d’accueil et de développement de biodiversité ? Le déploiement des toitures végétalisées et autres potagers urbains, comme l’émergence des concepts de bâtiments à biodiversité positive ou biomimétiques le laissent croire. Enquête.

Le constat est sans appel : la ville et ses ensembles bâtis représentent aujourd’hui plus de 40 % des émissions de gaz à effet de serre. Et l’urbanisation, que l’on sait grimpante, agit de manière générale sur l’artificialisation des sols, laquelle est l’une des premières causes de réduction de la biodiversité.

« Ainsi, le premier enjeu est bien de limiter l’impact du bâtiment sur la biodiversité et le réchauffement climatique », estime Pierre Darmet, secrétaire général du Conseil international biodiversité et immobilier (CIBI). Mais les réflexions sur l’avenir de la ville et le bâtiment durable vont plus loin. Pourquoi ne pas imaginer des espaces urbains et des immeubles qui, demain, seraient propices au développement de la biodiversité ? Des lieux dont l’architecture est inspirée de la nature (biomimétisme), et s’y intègrent parfaitement ?

Végétaliser en pensant aux usages

A cet égard, les projets de végétalisation du bâti regorgent. Toitures, terrasses, murs, jardins, potagers, du sol vers le ciel, les espaces déjà construits ou en construction intègrent toujours plus de vert. La création du label Biodiversity, porté par le CIBI, va dans le même sens : il vise à faire émerger les projets les plus vertueux en matière de biodiversité. « Pour évaluer un projet, nous nous intéressons à deux aspects, son apport écologique d’une part et son apport en termes d’usages d’autre part, explique Pierre Darmet. Nous allons donc regarder quelles sont les surfaces réservées à la biodiversité par rapport à la totalité des surfaces en jeu, quelle est la nature de ces espaces créés. Par exemple, quelle est l’épaisseur de substrat mis en toiture ? Cette évaluation « technique » nous conduit à mesurer l’indice de potentiel écologique ».

Mais qui dit bâtiment à biodiversité positive, dit bâtiment qui, à l’usage, s’avère réellement créateur d’impacts positifs. Aussi faut-il se demander si les espaces aménagés sont visibles des usagers, si la toiture est accessible ou non, si les habitants et les exploitants sont bien informés, si des activités comme le comptage régulier d’oiseaux, l’entretien d’un potager ou la cueillette de fleurs y seront possibles. Et bien sûr évaluer les moyens financiers et humains mis en œuvre. « En ce sens des métiers vont probablement émerger, comme celui de concierge vert, pour faire le lien entre un usager et le vivant se trouvant sur l’ouvrage, avance encore le secrétaire général du CIBI. Et le calibrage des projets est central. Un potager surdimensionné par exemple ne fournira pas le service de biodiversité attendu ».

A ses yeux, le premier impact positif des formes de végétalisation en milieu urbain est de reconnecter les humains à la nature. Adossées à une médiation pour apprendre ou réapprendre à faire cette connexion avec le vivant, « le bâtiment et son proche environnement peuvent alors être à biodiversité positive ».

Bien connu pour ses projets architecturaux monumentaux et résolument verts, Vincent Callebaut assure ainsi, dans un article du Monde de juillet 2017, qu’ « il faut des villes prônant une symbiose entre humains et environnement » .

Des premiers exemples convaincants

Nombre de bâtiments ou projets en cours s’avèrent d’ailleurs prometteurs : pour la végétation, l’accueil d’une faune variée et les usages qu’ils intègrent, facilitent et permettent de faire croitre dans le temps. A l’image de l’Ecole des sciences et de la biodiversité à Boulogne-Billancourt, imaginée par Chartier Dalix architectes et inaugurée dès 2014. Là bas, les toitures, les mûrs, les pieds de murs et les espaces alentours ont été pensés pour accueillir une biodiversité artificielle mais surtout spontanée.

Un état des lieux réalisé à l’été 2016 a notamment permis d’observer 114 espèces végétales, dont 44 issues de plantations et 70 arrivées spontanément. « Les façades du bâtiment sont particulièrement innovantes : elles sont formées de blocs de bétons préfabriqués décalés les uns des autres avec des variations en profondeur favorisant la création d’anfractuosités, de nichoirs, de surplombs pour l’installation de la flore et pour le gîte de nombreuses espèces animales comme les passereaux, les insectes, les chauves-souris… », peut-on lire, par ailleurs, sur le site de l’agence régionale de la biodiversité d’Ile de France.

Hors de France, en Suisse, près de Genève, l’écoquartier “Eikenott“ a reçu le label Biodiversity et est emblématique au regard de sa vaste échelle. Il regroupe ainsi 485 logements et 1 200 habitants dans un espace particulièrement favorable à la biodiversité et à sa connexion avec les usagers. Les toits des immeubles sont végétalisés et conçus pour retenir l’eau de pluie avant de la diriger vers les dispositifs de ré-infiltration dans le terrain. Les aménagements extérieurs offrent 8 hectares de prairie et des plantations indigènes accessibles à tous.

Quant à l’Enabling Village à Singapour, il est à « biodiversité positive » à plus d’un titre. Issu d’une rénovation, c’est une construction communautaire écologique où les bâtiments sont connectés par une trame verte, des jardins paysagers et aquatiques conçus avec une variété d’espèces indigènes, d’échelles et de couleurs, en complément d’arbres conservés, pour attirer la biodiversité, soutenir les écosystèmes et favoriser le lien social.

Citons enfin le projet le Skygarden inauguré en mai 2017 à Séoul, en Corée du Sud. S’il ne s’agit pas d’un bâtiment mais bien de la transformation d’un ancien viaduc autoroutier en jardin passager linéaire de près d’un kilomètre de long et 16 mètres de haut, la réalisation est intéressante d’un point de vue urbain, écologique et pédagogique. Situé au centre de la capitale, il permet non seulement aux piétons de renouer avec la nature non loin d’artères routières, mais aussi de découvrir une véritable bibliothèque vivante du patrimoine végétal du pays, avec plus de 24 000 arbres, arbustes et autres fleurs de 228 espèces et sous-espèces. Une réalisation vouée à évoluer dans le temps pour inscrire toujours plus ce quartier dans un environnement respirable.

Pour un impact significatif : penser la connectivité des espaces bâtis et non bâtis

Toutefois, parler de bâtiments créateurs de biodiversité ou « à biodiversité positive » reste un peu « présomptueux », selon Pierre Darmet. « Bien sûr, un bâtiment qui va multiplier les surfaces, les situations verticales et horizontales et aménager des anfractuosités pour accueillir la biodiversité sera beaucoup plus riche qu’un sol simplement urbanisé ou cultivé en monoculture, précise-t-il. Mais vous pouvez avoir un bâtiment faisant office de véritable îlot et à côté nombre d’autres bâtiments ne permettant pas à la biodiversité qu’il accueille de se déplacer ».

Lorsqu’on parle d’écologie, rappelle-t-il, deux concepts sont importants : celui de puits et celui de source. Un ilot résidentiel va être un puits, un havre de paix qui attirera de multiples espèces mais ne sera pas relié aux autres. « Tant que ces liaisons, ces trames vertes n’existeront pas en milieu urbain, l’impact ne sera pas significatif sur la biodiversité elle-même », précise-il.

De plus, ajoute-t-il, on ne dispose pas d’outils de mesure factuels comme pour l’énergie. On parle de potentiel et donc de temps long. « Ces bâtiments participent à un travail de long terme et doivent être accompagnés d’autres projets de parcs, forêts urbaines, et autres liaisons aquatiques ».

Un article signé Usbek & Rica

Visuel principal : Ecole des sciences et de la biodiversité à Boulogne-Billancourt, Chartier Dalix architectes © Cyrille_Weiner

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