A l’occasion de ses 20 ans et de son 200ème numéro, Business Immo publie les 20 tendances immobilières pour demain. Découvrez la tribune de Sébastien Matty, Président de GA Smart Building, intitulée « Demain, Tous hors-site ! »
La crise que traversent actuellement les filières de l’immobilier et de la construction, et les nombreux défis qu’elle engendre, commande de revoir notre façon de construire et de rénover la ville. Pour notre secteur, l’heure de la révolution industrielle est venue et la construction hors-site s’impose comme une solution incontournable.
« J’ai un rêve…
Celui de changer le monde… en changeant la manière dont nous le construisons chaque jour.
Et la période actuelle pourrait nous en donner l’opportunité.
Remontée massive des taux d’intérêt. Hausse du coût des matières premières. Amplification des mouvements de protestation contre les projets de toute nature. La crise actuelle, qui touche les secteurs de l’immobilier et de la construction, est violente. On aimerait dire qu’elle est inédite, elle ne l’est pas vraiment.
Et si elle nous concerne en premier lieu, nous les professionnels du secteur, ses conséquences se font sentir en réalité dans toutes les sphères de la société. Parce que des milliers d’emplois sont en jeu, parce qu’elle affecte nos logements, nos bureaux, et surtout, parce qu’elle détermine la France dans laquelle vivront nos enfants.
L’histoire se répète, on a l’impression de vivre un nième cycle mais l’écart se creuse entre notre filière et les attentes légitimes d’une société qui évolue. Au cours des cinquante dernières années, nos vies ont été profondément transformées. On a vu l’arrivée de voitures connectées, d’une intelligence artificielle qui nous impacte directement, d’une efficience de service qui livre le monde à nos portes en moins de 24h, sans parler de l’urgence climatique criante qui appelle une transformation de tous les modèles.
Pourtant, on construit encore aujourd’hui comme on le faisait au temps des Romains.
Solliciter les aides d’un État qui n’en a pas les moyens sera assurément vain. Il nous appartient de trouver des solutions pour transformer un modèle qui est à bout de souffle.
Et je crois précisément que le contexte actuel constitue une opportunité pour notre secteur. Celle de mettre en œuvre une révolution trop longtemps repoussée.
Il y a donc une bonne nouvelle : c’est qu’il existe un chemin. Pour que, dans 20 ans, le secteur de l’immobilier et de la construction puisse continuer, comme aujourd’hui, à faire vivre des millions de foyers. Pour qu’il puisse conserver le savoir-faire français, en améliorant le patrimoine bâti. Pour qu’il pèse bien moins qu’aujourd’hui dans le bilan carbone de notre pays.
Il le pourra car il aura opéré sa révolution industrielle.
Demain, on bâtira et on rénovera « hors-site », c’est-à-dire dans des usines. On designera tous les composants d’un bâtiment de façon digitale, on les produira dans des usines réparties sur toute la France, et on les transportera ensuite pour être assemblés « sur site », c’est-à-dire sur le chantier. Et les bienfaits de cette révolution du “faire” sont immenses.
Cette révolution industrielle sera d’abord une révolution écologique, qui passera à l’échelle l’utilisation de matériaux plus vertueux, comme le bois ou les bétons bas carbone. Soumise aux normes de qualité industrielle, la production hors-site sera plus précise que la production « sur site », qui dépend des nombreux corps de métiers associés sur le chantier. On l’observe déjà : le volume de déchets, de matière, la quantité d’eau est bien moindre lorsque l’on prévoit chaque étape dans l’environnement contrôlé d’une usine. Les chantiers durent moins longtemps, génèrent moins de poussières et nécessitent bien moins d’aller-retour de camions.
Elle permettra aussi de faire évoluer des métiers. Il ne s’agira plus de porter des sacs de ciment mais de superviser et gérer des lignes d’assemblage sophistiquées. Le niveau de pénibilité va mécaniquement baisser, les métiers vont de fait se féminiser et monter en niveau de qualification.
Cette révolution industrielle, sera ensuite économique. Adopté massivement, le « hors-site » permettra de réduire les coûts de la construction et de la rénovation. L’introduction et la diffusion des innovations se fera beaucoup plus rapidement car elles seront concentrées dans des unités de production hors-site et pas sur les centaines de milliers de chantiers atomisés. L’impact sur la production de logement sera considérable. On favorisera ainsi l’accès au logement et on désamorcera la « bombe sociale » que constitue la crise du logement en France.
Mais tout cela, c’est pour demain. Aujourd’hui la production hors-site est embryonnaire et représente moins de 1 % du marché de la construction en France. Son adoption massive permettra d’en matérialiser les bienfaits.
Devant les nouvelles contraintes économiques, nécessité commence à faire loi. De nombreux acteurs se sont regroupés dans une association, sous l’impulsion de Stephan de Fäy, le patron de Grand Paris Aménagement (GPA), pour faire avancer ce mode constructif. Les maîtrises d’ouvrages publiques se sont notamment fixés des objectifs ambitieux pour les trois prochaines années. Le Conseil National de l’Ordre des Architectes y est associé.
L’ensemble de la profession peut et doit rejoindre le mouvement. Il s’agit de définir, collectivement, les normes qui s’appliqueront, planifier les capacités constructives, coordonner les investissements industriels. Au-delà des logiques de concurrence, il s’agit de bâtir une filière d’excellence, assise sur des bases communes.
L’excellence de cette filière, sera celle du beau. Contrairement à une idée répandue, précision et massification ne vont pas à l’encontre du beau, au contraire. La construction ou la rénovation hors site permet d’accorder un rôle primordial aux créateurs. Les architectes et les designers intègrent les projets très amont, avec l’idée assumée de produire des modèles de bâtiments susceptibles d’être produits en série. Une ambition sous-tendue par une double logique. Économique, parce qu’il s’agit de déployer des solutions à grande échelle. Sociale parce qu’elle permet de proposer des œuvres de qualité au plus grand nombre.
C’est cette double logique qui a fait, notamment, la beauté de Paris. Les immeubles Haussmanniens sont standardisés à 90 %. Les fontaines Wallace, les colonnes Morris, qui sont considérées par le monde entier comme les emblèmes de l’esthétique parisienne, ont été fabriquées en usine, à l’époque de la seconde révolution industrielle. Gaudi, Guimard, Le Corbusier ont pensé leurs œuvres – bâtiments et mobiliers – comme des éléments reproductibles en série.
De nombreux projets conçus en hors site ont d’ores et déjà appliqué cette logique. Je pense notamment à un projet de 60 logements en bois, que nous portons, aux côtés de GPA mené sous l’égide des Architectes des Bâtiments de France, dans la perspective du Château de Versailles. Il est illustratif de ce que permet de faire la construction hors site.
Nous sommes à un point de bascule. Pour assurer un avenir au premier secteur économique français, nous avons une opportunité exceptionnelle. Repenser notre manière de construire et de rénover, pour basculer dans une nouvelle logique. Une logique de la massification et de la standardisation du beau. Les crises actuelles nous y incitent.
Mais rien ne se fera sans vous. Élus, dirigeants du public ou du privé ; investisseurs, promoteurs, utilisateurs, maîtres d’ouvrages, maîtres d’œuvres, architectes et designers : vous êtes en première ligne de cette révolution. Pour disposer demain d’un patrimoine bâti qualitatif, écologique et accessible, nous devons dès aujourd’hui, collectivement, opérer la révolution industrielle de l’immobilier et de la construction.
Et faire de ce rêve une réalité.
A nous de jouer. »