La ville se réinvente pour que la nature pénètre les espaces urbains et leurs bâtiments. De plus en plus d'architectures sont inspirées de la nature dans le but de construire durablement.
Et demain ?

En ville, le végétal s’installe

29.05.2018

En 2050, les experts estiment que 70% des habitants du globe vivront en ville. Une donnée qui défie les métropoles déjà confrontées aux problématiques de pollution de l’air et de réchauffement climatique. Face à ces enjeux, les arbres et les végétaux de toutes sortes ne sont pas seulement une réponse écologique mais aussi des atouts esthétiques, sensoriels et sociaux. Acteurs publics, architectes, designers et bâtisseurs sont ainsi engagés dans une réinvention de la ville pour que la nature pénètre les espaces urbains et leurs bâtiments.

Pour assurer un air respirable, proposer des espaces qui tranchent avec le béton et lutter contre le réchauffement climatique, les acteurs de la ville s’emploient donc à la verdir. Car les plantes, sont, via la photosynthèse, de véritables filtres à CO2. Et elles captent d’autres polluants comme les particules de métaux lourds ou l’oxyde d’azote, les arbres en particulier.

De plus, les espaces végétalisés permettent de modérer les températures et de réduire le déséquilibre thermique des espaces urbains. En ville, on observe en effet des phénomènes d’îlots de chaleur dus à la perte progressive de la végétation ou à la multiplication des surfaces minérales à faible albédo (pouvoir réfléchissant d’une surface). « Le végétal permet de réduire la température dans la ville, grâce à une bonne capacité de réflexion de la lumière solaire, une évapotranspiration importante et l’ombrage produit », selon une étude de 2016 de l’Institute for Climate Economics. « A titre d’illustration, la modélisation et les mesures de Loughner et al. (2012), calculent qu’une couverture arborée sur 50 % de la surface des rues entraine une diminution de la température de 4°C pour l’air au niveau du sol, 15°C pour la surface des routes et 9°C pour la surface des immeubles, dans des villes comme Washington ou Baltimore », ajoutent ses auteurs, Alexandre Tavin et Alexia Leseur.

Sans compter que la végétation permet une meilleure absorption des eaux de pluie et l’accueil d’une plus grande biodiversité en ville.

Outres ces avantages notables, le végétal a aussi une vraie valeur esthétique. « Le végétal augmente la qualité de l’architecture, estime Patrick Nadeau, designer végétal de renom. Il apporte une palette de couleurs qui change au gré des saisons et participe à la création d’espaces plus poétiques, plus sensibles. Il réveille les sens du toucher, de l’odorat ou de la vue ».

Il est enfin facteur de liens sociaux. Pensé sous forme de potager partagé par exemple, il va permettre aux habitants d’un immeuble ou à une population de quartier d’échanger et de se réapproprier l’espace urbain.

Quand le naturel se mêle à l’artificiel

Aussi le retour de la nature en ville inspire-t-il des projets architecturaux époustouflants, des politiques urbaines plus audacieuses et participe finalement à réinventer les cités, même les plus grandes.

« Au 19e siècle, les espaces urbains étaient séparés des jardins et autres étendues de nature. Puis, au cours du 20e siècle, on a imaginé les espaces verts et leurs grandes pelouses. Aujourd’hui, l’idée est d’imbriquer l’architecture et la nature dans un même continuum. A Rennes par exemple, sur la place de République, le travail que j’ai mené aux côtés du paysagiste Bernard Cavaillé a permis la création d’un espace hybride, explique Patrick Nadeau. D’ailleurs le développement des matériaux biosourcés ou des constructions en bois soulignent que cette imbrication entre végétal et minéral, entre naturel et artificiel, entre intérieur et extérieur, inspire et permet des collaborations nouvelles entre des corps de métiers jusqu’ici séparés. »

Parmi les projets les plus remarqués, on trouve évidemment ceux de l’architecte français Vincent Callebaut dont l’imagination a particulièrement été remarquée avec sa vision de Paris Smart City 2050 ou le projet d’écoquartier Hyperions actuellement en construction à New Delhi en Inde. Pensé comme un village vertical durable, ce dernier sera composé de six tours-jardins en bois de 36 étages.

Les réalisations de l’architecte italien Stefano Boeri démontrent également le potentiel du végétal intégré au bâti. Dès 2014, son Bosco verticale, deux tours où sont plantés sur les balcons et en rez-de-chaussée l’équivalent d’un hectare de forêt, a été inauguré à Milan, en Italie.

Cette construction a inspiré la Chine et la ville de Liuzhou pour laquelle Vincent Callebaut a imaginé la première « Forest City » au monde. Actuellement en construction, cette cité comptera plus d’un million de plantes et quelques 40 000 arbres, lesquels permettront d’absorber 10 000 tonnes de CO2 et 57 tonnes de résidus de polluants chaque année, tout en produisant 900 tonnes d’oxygène.

Outre ces projets gigantesques, les villes accueillent aujourd’hui des constructions plus anonymes mais faisant la part belle au végétal. La cité-Etat de Singapour est exemplaire en la matière avec plus de 50% de son territoire occupé par des espaces verts, des bâtiments comme Oasia et la mise en place d’une politique intense de végétalisation de la ville depuis 2011.

En région parisienne, un changement de visage est aussi à l’oeuvre. A Asnières par exemple, l’inauguration de la Tower Flower, dès 2004, a lancé une dynamique aujourd’hui généralisée.

Ainsi, la capitale a, en 2014, mis au point un vaste plan de végétalisation. Et il ne s’agit pas forcément de grands travaux. 20 000 arbres seront plantés d’ici 2020 et 100 hectares de murs et de toits ont été ouverts à des porteurs de projets.

Car dans des espaces aussi denses, les toits s’avèrent être des lieux de végétalisation opportuns. Trois possibilités de toitures végétalisées existent selon la pente et l’exploitation désirée : extensif, semi-extensif ou intensif. Il est ainsi possible de recouvrir le sol de végétaux bas et peu exigeants en entretien, ou d’y implanter des arbres et des potagers. « On choisira des plantes tout terrain quand les toits sont peu accessibles, de manière à réduire l’entretien nécessaire. Quoiqu’il arrive, cela permet d’améliorer le confort thermique d’un bâtiment. Mais toutes les espèces ne seront pas bonnes. N’oublions pas que la nature peut parfois faire des dégâts. Des plantes trop vivaces dont les racines se développent trop pourraient par exemple fragiliser l’étanchéité du bâti. De manière générale, il faut donc savoir qu’introduire des végétaux demande de se renseigner et de travailler avec des botanistes par exemple, et d’entretenir les espaces », précise Patrick Nadeau.

Ainsi, parallèlement au déploiement de projets de smart cities, les projets de végétalisation se multiplient dans toutes les agglomérations du monde et contribuent à réinventer les manières de vivre la ville. Mais, en matière de pollution et de lutte contre le changement climatique, « d’autres efforts doivent être fait pour limiter la pollution, ajoute Patrick Nadeau. Ce n’est pas parce qu’on met des arbres et des végétaux qu’on peut se permettre de polluer autant qu’on le veut.  La nature ne doit pas être vue comme un simple outil de compensation. A l’image des croyances japonaises, avec l’imbrication du végétal en ville s’efface l’idée d’un homme indépendant de son milieu naturel pour laisser place à celle d’un homme considéré comme phénomène naturel parmi les autres ».

Un article signé Usbek & Rica

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